[Accepté] Synae

Le Carabin Noir tanguait doucement, alors qu'il glissait vers l'Archipel des Sibyllins. Synae, debout sur le pont, profitait de ces derniers instants de solitude et de réflexion, le regard tourné vers La Grande. Telle une traîne sanglante, sa chevelure écarlate dansait avec la brise marine et semblait s'embraser au contact des rayons du soleil, qui déclinait déjà. Cependant aucune flamme vindicative n'illuminait ses yeux et son visage semblait serein, bien que le tumulte de ses pensées l'ait occupée durant toute la traversée. Le voyage avait dès lors paru rapide, trop rapide pour lui permettre de trouver des réponses à toutes ses interrogations.

Quand on ne trouve plus de réponse, c'est qu'il est temps d'agir.

La jeune asmodienne inspira longuement l'air marin et laissa la fraîcheur de ce dernier envahir son corps entier en frissonant.

Comme la première bouffée d'Ether qui m'a donné la vie... ou comme toutes les autres depuis... Jour d'exception, ou pas. Nous verrons bien.

Mais elle ne pouvait se le cacher, son relativisme n'était que le filet de secours de ses espoirs immenses.

"Il est temps de partir, tu es prête."

Les mots d'Aelnya résonnaient encore dans son esprit. Elle devait avoir raison, elle devait savoir. Qui d'autre qu'elle pourrait mieux savoir ? Mais partir, c'était se séparer, se séparer de son unique guide. C'était être à la merci des autres et être seule à la fois.

"Tu n'es pas seule, tu le sais bien. Tu portes tant d'espoirs en toi. Mais tu dois d'abord apprendre à faire confiance. Va vers La Louve. Elle ne te doit rien, mais tu lui devras beaucoup si elle t'accepte."

En se remémorant ces paroles, Synae caressait lentement le pli qu'elle tenait dans sa main. Il lui fallait trouver une certaine Sisselune, à qui elle remettrait cette lettre, porteuse de sa volonté d'intégrer la Cohorte. Une lettre qu'elle avait rédigée avec sa seule volonté pour guide, car Aelnya ne lui avait plus prodigué aucun conseil après lui avoir ordonné de partir.

Elle parcouru du bout des doigts le sceau en cire, frappé du sigle familial, et observa rêveusement son propre nom, qu'elle avait écrit juste en-dessous. Les majuscules étaient enluminées mais les autres lettres, tout en rondeur, étaient d'une humble simplicité.

La dernière instruction transmise par Aelnya concernait la nécessité d'inscrire un mot de son choix au dos de la lettre. Le mot choisi par la jeune asmodienne apparaissait en grandes lettres penchées, et semblait avoir été écrit rapidement mais d'une main ferme et décidée.



Synthèse. Des éléments distincts, hétérogènes, qui sous l'effet d'une action précise se retrouvent liés l'un à l'autre, le plus intimement, le plus complètement possible.

Mon idéal.

Le Carabin Noir venait d'accoster. Avant de descendre, Synae cacha son visage sous une ample capuche.

Ma peau claire, mes traits presque élyséens... Eux aussi me rejetteront.

"Tu dois d'abord apprendre à faire confiance."

Encore une fois, les mots de la Mère résonnèrent en son esprit. D'une main légèrement tremblante, Synae découvrit son visage, et s'avança vers le Coche, où elle devait trouver celle qu'elle cherchait. Supposant que la jeune femme qui se tenait là était la personne recherchée, elle déclara d'une voix posée mais faible :

Excusez mon arrivée non annoncée. Je dois remettre ce pli à La Louve, par l'intermédiaire de Sisselune. Seriez-vous celle que je recherche ?

Alors qu'elle tendait la lettre à son interlocutrice, Synae repensait à son contenu, anxieuse.

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Louve Saraban,

Je vous prie d'excuser mon arrivée impromptue sur l'archipel que constitue votre territoire. Je souhaite vous assurer de tout mon respect, envers vous-même ainsi qu'envers vos protégés et protecteurs.

Le motif de ma lettre est simple : je souhaite, de tout coeur et avec toute la volonté qu'il m'est possible d'avoir, intégrer la Cohorte, me soumettre à La Louve et aux intérêts de son clan.

Les raisons de cette demande sont, quant à elles, plus complexes. Evidemment, une soumission gratuite vous paraîtrait suspecte. Il me semblerait pourtant déplacé de vous exposer d'emblée toutes mes motivations, et tous les espoirs que je porte en mon coeur. Sachez seulement que j'ai trop longtemps été isolée du monde pour ne pas connaître la valeur d'une communauté, et la joie de trouver sa place parmi celle-ci.

Je sais pertinemment que l'harmonie d'une telle communauté réside presque entièrement dans la qualité des individualités qui la composent. Je sais également que "variété" est souvent synonyme de "richesse". C'est pourquoi j'ose espérer que vous accepterez la demande de la jeune asmodienne que je suis, à la personnalité riche en contrastes, aux talents divers, et qui malgré l'éventail de ses caractéristiques préserve une cohérence inébranlable dans ses actes et ses projets.

Car je crois en l'union des contraires, à mes risques et périls.

Respectueusement et avec espoir,

Synae

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Pour la première fois, alors qu'elle tendait cette lettre, Synae ressentit un espoir nouveau. Un espoir qui n'appartenait qu'à elle. Pendant ces quelques secondes, elle n'était plus un simple intermédiaire : dans ce geste, elle s'apercevait enfin elle-même.

Spoiler:

« Dans la réserve du coche ? »

Demanda Kiba.

« Oui ! Y’a là quelques outils que tu peux prendre ! »

Lui répondit un des pêcheurs de l’ile.

« Merci je vous revaudrai cela… »

Kiba s’inclina respectueusement et se dirigea vers le quai où le Carabin Noir venait d’accoster.

« Kiba… »

Dit le loup argenté qui s’était arrêté.

« Oui ? »
« Regarde là bas qui s’avance du bateau. Une nouvelle odeur. On a de la visite. »

Kiba tourna la tête et regarda la femelle qui s’avançait d’un pas nonchalant vers le coche. Il laissa ses narines découvrir l’inconnue.

« Elle sent bon. Tu crois qu’elle me caressera ?»

Kiba manqua de s’étouffer à la remarque d’Akio.

« Baka… Même une femelle désespérée se sauverait en te voyant arriver»

Fit Kiba en caressant la tête du loup.

« On parie ? »
« Hein ? »

Jappa le jeune garçon en voyant le loup s’avancer fièrement, se dirigeant droit ver le coche. Il ne put s’empêcher d’éclater de rire à la réaction du loup. C’était bien de l’Akio tout craché. Dés qu’une femelle était là il ne pouvait s’empêcher de faire son paon.

« Matte Akio ! Matte Yo ! »

Cria Kiba avant de se lancer à sa poursuite. Il était trop curieux de voir cela.

« Elles vont te jeter dehors comme un vieux sac à puces tout mouillé. »

Ironisa-t-il avant de rire à nouveau. Il regarda le loup gratter au bas de la porte puis de son museau la pousser ouverte et se faufiler à l’intérieur. Kiba s’avança jusqu'à l’encadrement et observa le loup au pelage argenté qui se tenait non loin de Sisselune et de l’autre femelle. Il la détailla du regard, sa peau était claire, un teint exceptionnel pour l’Asmodée. Elle avait rejeté une ample capuche sur sa tête mais il pu percevoir des traits fins et harmonieux. Il renifla machinalement, c’est vrai elle ne sentait pas mauvais.

Spoiler:

Attentive aux paroles de Sissel, Synae n'avait pas remarqué qu'on grattait à la porte, et elle se demandait pourquoi la jeune femme s'était interrompue. Elle était déjà surprise qu'on ne lui demande pas une totale soumission. Elle avait toujours pensé que faire partie d'un groupe social, c'était s'y fondre sans condition, s'y perdre. Le monde en dehors de la protection de la Mère lui avait toujours semblé n'être qu'un océan d'un noir angoissant et sans fond dans lequel on risquait de se noyer à perpétuité. Il lui faudrait réapprendre à vivre avec d'autres.

Mais si les paroles de Sissel étaient surprenantes, cela n'approchait en rien l'ampleur de son étonnement quand elle vit la bête qui était entrée dans le Coche, un animal d'une taille impressionante. Elle n'en avait jamais vu de pareil, bien qu'elle ait plus souvent côtoyé la faune d'Atréia que sa population, asmodienne ou elyséenne. Immédiatement, elle le regarda en face, plongeant ses grands yeux clairs dans ceux, tout aussi grands, du loup au pelage strié d'argent.

Elle frémit. Ce n'était pas la peur qui la faisait trembler, c'était la douleur. La douleur d'une vie passée à être rejeté, harcelé, incompris. Une douleur qu'elle connaissait bien. Mais celle de l'animal était comme assourdie par une récente sensation de paix.

Toi aussi, tu sais ce que c'est... Essayer de concilier l'incompatible...

Il lui était déjà arrivé d'éprouver cette capacité à se connecter aux autres, aux autres asmodiens mais aussi aux bêtes, et même à toute chose, vivante ou non, capable de souffrir. Une capacité qu'elle ne semblait pas contrôler, du moins pas encore. Un pouvoir de connexion paradoxal pour une femme qui avait toujours vécu dans une solitude quasi-totale. Un pouvoir qui la forçait à la compassion, parfois malgré elle.

Mais elle n'avait besoin d'aucune compétence particulière pour se rendre compte que l'animal était d'humeur joyeuse. Sa longue queue touffue s'agitait rapidement de droite à gauche, et les babines retroussées, il semblait renifler une odeur particulière avec excitation.

Synae avait déjà remarqué le jeune homme qui se tenait derrière le loup, dans l'encadrure de la porte, et qui les observait avec attention. Elle devina qu'il accompagnait l'animal. Lui non plus n'avait pas l'air hostile, mais il lui semblait tendu. Elle en déduisit qu'il lui fallait être prudente dans son comportement.

Le visage serein, elle baissa les yeux en signe de respect, tout en présentant ses deux mains au loup, paumes vers le haut.

Bel animal au pelage mordoré, je vous présente mes salutations respectueuses, à toi et à ton jeune maître. Je m'appelle Synae.

Elle ne savait pas si l'animal pouvait comprendre son langage, aussi elle jeta un rapide coup d'oeil en direction du jeune homme pour vérifier qu'il l'avait également entendue. Ne sachant trop qu'ajouter, consciente du fait qu'il n'était sûrement pas venu ici rien que pour elle et que des détails supplémentaires ne l'intéresseraient pas, elle se tut.

Spoiler:

« Kiba nous apprend à le faire. »

Jappa le loup dans la plus totale incompréhension des deux damoiselles. Il avança un peu alors qu’elle venait de tendre ses mains et de baisser le regard. Le canidé au pelage strié d’argent passa sa tête sous une main et poussa un petit grognement

« Akio. »

Il recula et vint se placer devant le jeune garçon, la tête tendue vers le visage de ce dernier. Il se mit alors à pousser une série de jappements.

« J’ai gagné, elle m’a caressé, j’ai gagné... »

Kiba ouvrit un œil et regarda le loup qui faisait de petits mouvements de pattes sous l’excitation de sa victoire. Il passa sa main sur le crâne de l’animal et le gratta derrière l’oreille.

« Oui, oui, j’ai vu, inutile d’en faire trop, louveteaux va ! »
« N’empêche j’ai gagné ! »

Kiba baissa la tête et souffla.

« ttsss regardez dans quel état vous me l’avez mis… Si un certain loup ne se calme pas je vais devoir user des grands moyens… Un seau d’eau par exemple. »

Le loup releva le crâne et se calma. Il vint néanmoins se positionner contre le flanc droit de Kiba tout en arborant un air emprunt de fierté.

« Cabot va… »
« Elle a la peau douce en plus… »
« Et toi des puces »
« Pas vrai… »
« Non mais elle me croira. »

Le loup poussa un gémissement qu’on aurait pu prendre pour de la déception. Kiba avait argué avec Akio comme si de rien n’était pour le plus grand étonnement de la jeune Synae. Il reporta alors son attention sur les jeunes femmes.

« Inuzuka Kiba, Ravi de faire votre connaissance, Damoiselle Synae. Soyez la bienvenue en ces lieux et profitez agréablement de votre séjour.»

Il s’inclina respectueusement avant de regarder Sisselune.

« Dame Sisselune désolé d’avoir interrompu votre discussion, nous ne faisons que passer, quelques outils à récupérer à la réserve. »

Il se dirigea alors vers la porte du fond avant de se retourner.

« Ah oui un petit conseil. Ne demandez pas le plat du jour à l’auberge. »

Il ouvrit la porte et se mis à fouiller dans le débarras à la recherche de ce rabot abrasif tout en continuant à écouter la discussion des jeunes femmes.

Synae avait observé l'échange qui venait de se produire entre Kiba et le loup. Elle était persuadée qu'il s'agissait d'une véritable conversation, bien qu'elle n'ait strictement rien compris. Mais elle percevait clairement diverses émotions dans les jappements et les postures de l'animal. Sa bonne humeur le lui rendit sympathique, et elle trouva touchant son attachement à Kiba. Et puis, le sentir frotter sa grosse tête poilue contre sa main avait été fort agréable.

Elle se retourna vers Sissel, un léger sourire au coin des lèvres.

Vous confirmez, pour le plat du jour ? Pourtant, le voyage m'a ouvert l'appétit...

Merci pour vos conseils. Et pour votre accueil, ajouta-t-elle après un coup d'oeil amusé et légèrement interrogateur en direction du loup.

J'attendrais donc ma rencontre avec La Louve, patiemment. J'ai tout mon temps maintenant. Je suis où je dois être...

... selon Mère, en tout cas, pensa-t-elle avant de refouler implacablement ce doute inhabituel.

Synae s'apprêtait à sortir du Coche, quand elle se retourna en direction de l'intendante.

Au revoir, Sissel. Si les alcools de l'auberge sont si recommendables, peut-être nous retrouverons nous autour d'un verre, un de ces jours.

Synae sourit une dernière fois à la jeune femme. Elle appréciait son attitude posée et devinait en elle une fine observatrice.

Kiba et l'animal s'apprêtant à partir. le jeune homme l'invita à sortir avec une politesse et une galanterie sans fioritures, ce qu'elle apprécia. Elle croisa encore une fois le regard du loup, et focalisant à nouveau sa curiosité sur lui, se mit à le suivre rêveusement alors qu'il se dirigeait vers le village, en oubliant presque Kiba qui disait encore quelques mots à l'intendante.

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Récit à lire pour l'entrée de Synae dans La Cohorte.